« Pourquoi il n’y a personne ? » ou comment se poser les bonnes questions en matière de mobilité

Avez-vous déjà entendu quelqu’un se plaindre d’une piste cyclable flambant neuve, mais déserte, ou d’un bus qui circule à vide ? Nous oui.

Pourtant, le raisonnement qui se cache derrière cet agacement est maladroit. On vous explique pourquoi dans cet article, et comment nous pouvons le transformer en une opportunité de changement.

Si tu le construis, ils viendront

“Aerial picture of Katy Freeway”

L’expression « Build it and they will come » (« Construis-le et ils viendront ») est souvent utilisée pour illustrer le phénomène de demande induite dans le secteur des transports, et particulièrement dans celui de l’automobile où il se vérifie de façon visible : plus on construit ou élargit de route, plus il y a d’automobilistes qui les empruntent… provoquant ainsi toujours plus d’embouteillages.

En réalité, cet adage vaut aussi pour les autres usagers de la route comme les piétons, les cyclistes, les usagers des transports en commun et les covoitureurs, mais aussi pour les groupes souvent oubliés comme les femmes et les personnes porteuses d’un handicap. Ces groupes aussi utilisent l’infrastructure créée pour eux quand elle existe.

Pourtant dans les faits, ce dicton semble uniquement utilisé pour les infrastructures destinées aux voitures, comme s’il n’était pas applicable aux autres usagers de la route. Cela est dû à un mécanisme très simple : quand une personne devant se déplacer n’a aucun moyen de le faire, elle ne se déplace pas, devenant de ce fait invisible dans l’espace public. Et donc oubliée. C’est pour cette raison que nous observons des bus roulant à vide, ou que nous pensons à tort que les PMR sont un groupe très minoritaire car absents de l’espace public. Si nous ne voyons pas ces différents groupes, c’est qu’ils n’existent pas. Et s’ils n’existent pas, il n’y a pas de raison de développer des infrastructures répondant à leurs besoins (comme des trottoirs accessibles aux chaises roulantes). Pourtant ils sont bien là, avec des besoins spécifiques.

Les groupes invisibles

Ce mécanisme de disparition de l’espace public atteint aussi bien les usagers des transports en commun que les cyclistes. Mais il s’observe particulièrement dans les groupes dits vulnérables comme les femmes et les personnes porteuses d’un handicap.

L’illustration de @pacingpixie représente parfaitement ce phénomène pour les personnes à mobilité réduite qui ne peuvent se déplacer dans l’espace public si les trottoirs sont inadaptés (étroits, inégaux, bordures trop hautes). Elles deviennent alors invisibles et considérées comme des exceptions. Le cycle continue quand les planificateurs de transport négligent les besoins de ces utilisateurs et mettent en place des infrastructures encore plus inadaptées.

Le cycle de l’inaccessibilité par Pacingpixie

Les femmes, quant à elles, ont tendance à adapter leurs déplacements (ou à ne pas se déplacer du tout) lorsqu’elles se sentent en insécurité, comme quand elles doivent attendre seules à un arrêt de bus la nuit.

Le proverbe « Loin des yeux, loin du coeur » prend ici tout son sens : si on ne rencontre pas ces groupes, on ne pense pas à leurs besoins lors de l’élaboration de nouvelles infrastructures, perpétuant ainsi le cycle.

Il reste alors une question : comment briser ce cercle vicieux ? On vous montre un bon et un mauvais exemple.

Un bon exemple : investir dans l’infrastructure cyclable

Des villes comme Copenhague montrent que de meilleures infrastructures attirent les cyclistes.

« Mais qu’est-ce qui pousse les habitants de Copenhague à prendre le vélo tous les matins, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ? Le Copenhagois moyen est-il plus soucieux de l’environnement que vous ? Pas du tout. Est-ce parce qu’il s’agit d’une bande de fous de la santé ? Pas du tout. Ou peut-être parce que le vélo fait partie de l’ADN danois ? Non. Trois facteurs importants entrent en ligne de compte : l’infrastructure, l’infrastructure et l’infrastructure. » James Thoem.

En Belgique, de nombreuses initiatives ont permis d’augmenter la pratique du cyclisme en zone urbaine. Les stations de vélos partagés comme BlueBike sont de plus en plus courantes à proximité des gares, des kilomètres de pistes cyclables en site propre ont été construites, ainsi que des cyclostrades et des ponts réservés aux cyclistes et piétons.

Le projet Plus malin vers Anvers (Slim naar Antwerpen) a permis de construire 583 km de pistes cyclables, 21,7 km de rues cyclables et 767 km de voies lentes interdites aux véhicules motorisés à Anvers. (Mobiliteitscijfers Antwerpen 2023)

Et à Bruxelles, un an seulement après l’instauration du plan « Good Move », le nombre de cyclistes a augmenté de plus d’un tiers dans la capitale.

Les effets positifs de ces investissements ne sont pas immédiats – les usagers doivent se faire aux nouveaux itinéraires, peut-être passer au vélo électrique… ce qui laisse une période de transition aux haters pour les pointer du doigt – mais ils sont indéniables : si vous construisez des infrastructures cyclables, les cyclistes apparaitront.

Un mauvais exemple : ne pas investir dans les transports en commun

Un bus vide ne signifie pas que le transport public est inutile. Plutôt que de rouspéter à la vue d’un véhicule désert, il convient plutôt de se demander pourquoi il n’attire pas plus d’utilisateurs. Le manque de fréquence, de confort ou de connexions fiables en sont des causes courantes. En Flandre, le désinvestissement dans le réseau des bus a provoqué l’indignation, notamment dans les villes de Gand, Malines et Bruges.

Heureusement, des exemples de bonnes pratiques dans la gestion des transports en commun existent en Belgique malgré les coupes budgétaires. Preuve s’il en est qu’il est toujours possible de fournir un service de qualité qui attire les utilisateurs :

  • Le bus à la demande De Lijn en Flandre : dans la recherche préliminaire de SMEP, nous avons constaté que les services de transport à la demande peuvent être une solution adéquate pour sortir certains groupes de la pauvreté en matière de transport. Le Belbus de De Lijn (ou Hoppin Flex), dont 74% des utilisateurs sont des femmes et 66% ont plus de 45 ans, est un exemple de bonne pratique dans notre pays (page 20 de ce rapport).
  • La STIB continue de satisfaire ses utilisateurs qui lui accordent une bonne note de satisfaction, et de développer ses infrastructures, notamment digitales avec Floya.
  • La fréquentation des lignes Express du TEC en Wallonie augmente.

« Build it and they will come » a fait ses preuves avec les automobilistes. Si bien qu’agrandir et densifier le réseau routier n’a pas permis de faire diminuer les embouteillages, que du contraire.

Il est temps maintenant d’investir dans des infrastructures de mobilité qui répondent aux besoins des usagers tout en ayant un impact positif sur la société. Les efforts déployés pour encourager le cyclisme et l’utilisation des transports en commun en sont des bons exemples, mais il y en a tant d’autres ! Il est temps de prioriser une mobilité durable, partagée et connectée pour favoriser le changement modal, sans oublier les usagers invisibles.