Session Mpact | La ville du 1/4 d’heure

La ville du 1/4 d’heure

Un concept réservé aux classes moyennes ou la recette d’une ville à taille humaine ?

Qu’est-ce que la ville du 1/4 d’heure et comment ce concept peut-il contribuer à rendre les villes plus vivables et durables ? Pour aborder ces questions, Mpact a organisé deux sessions au début du mois de juin 2021. Ci-dessous, nous formulons quelques leçons et points d’attention à prendre en considération quand on parle de la ville du 1/4 d’heure.

La session francophone a réuni Thyl Van Gyzegem (IEB), Benoît Moritz (ULB) et Sandrine Vokaer (Mpact). L’enregistrement de la session est disponible ici et le podcast ici. Pour la session néerlandophone, ce sont Soumaya Majdoub (VUB), Gideon Boie (KU Leuven) et Angelo Meuleman (Mpact) qui se sont assis à la même table. Vous trouverez ici l’enregistrement vidéo et ici le podcast.

Nos sessions Mpact permettent de faire un zoom avant et un zoom arrière. Zoom avant sur la mobilité partagée et durable, zoom arrière pour faire le lien avec d’autres domaines tels que la géographie sociale et l’aménagement du territoire.

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Les 3 D de la ville du ¼ d’heure

La ville du 1/4 d’heure est idéale pour rendre les zones urbaines et rurales plus durables et plus humaines. Le point de départ est d’organiser la ville (ou le quartier) de manière à ce que les équipements essentiels ne soient pas à plus de 15 minutes à pied ou à vélo de son domicile: alimentation, travail, école, soins de santé, commerces, sport, culture, détente, espaces verts… En substance, la ville du 1/4 d’heure est donc le droit à une offre de base dans chaque quartier. Les villes (ou les régions) ne sont plus construites autour d’un centre unique, mais sont constituées de différents groupes d’habitants et d’équipements : la ville polycentrique.

La ville du 1/4 d’heure repose sur les 3 D : diversité, densité et design. La diversité fait référence à la combinaison de tous les types de services dans le quartier. Cette proximité des services contraste avec un aménagement spatial ségrégué où les zones résidentielles, les zones d’activités, les zones commerciales… sont séparées les unes des autres et reliées par la voiture (la ville fonctionnaliste). Pour que les villes du 1/4 d’heure soient possibles, il faut aussi qu’un nombre suffisant de personnes vivent à proximité les unes des autres (densification). La densité y fait référence. Enfin, un bon design devrait permettre aux gens d’opter pour une mobilité plus durable et aux quartiers d’être plus agréables à vivre.

La ville du 1/4 d’heure ne doit pas devenir une caricature. Il ne s’agit pas d’un archipel de quartiers fermés dans lesquels vous êtes enfermé et dans lesquels toute votre vie se déroulera. Il y a bien sûr un lien entre les différents quartiers et avec ce qui se passe à l’extérieur de la ville. Même s’il est vrai que de nombreuses personnes n’ont pas le choix de vivre ailleurs qu’en ville. Et cette idée que tout se trouve au coin de la rue et qu’on ne quitte jamais son quartier (localisme) est pour le moins discutable. Franchir les limites de son quartier pour utiliser des équipements ailleurs est aussi un facteur d’émancipation sociale.

Une idée recyclée ?

Malgré le grand intérêt que suscite depuis peu la ville du 1/4 d’heure, le concept n’est pas si nouveau que ça. La réflexion sur la ville de proximité commence déjà dès le début du XXè siècle. C’est le sociologue américain Clarence Perry qui initie les premières idées sur la ville du 1/4 d’heure dans la première moitié du 20e siècle. Il développe le concept d « unité de voisinage« , une vision de l’urbanisme basée sur le quartier. Un groupement d’habitation dont les équipements essentiels (services, commerces…) sont situés à une distance maximale de 10 minutes à pied.

Ce modèle a également été appliqué en Belgique. Les premières applications ont pris la forme des cités-jardins, que l’on retrouve dans plusieurs villes belges (cf. Kapelleveld et Le Logis-Floréal à Bruxelles) après la Première Guerre mondiale. Les équipements et les logements ont été combinés et organisés de manière à ce que l’accessibilité des équipements se fassent via une bonne infrastructure permettant la marche. Dans les années 1960, on retrouve encore des applications dans les quartiers modernistes comme dans le Quartier des étangs à Anderlecht, où des magasins et une église étaient à la disposition des riverains.

Plus récemment, le concept a été remis à l’avant de la scène et développé par Carlos Moreno, professeur associé à l’Université de Paris Sorbonne. Il a ensuite été repris par Anne Hidalgo dans sa lutte pour sa réélection en tant que maire de Paris. Les (semi-) lockdown successifs provoqués par la crise corona ont également entraîné un regain d’attention pour la proximité. Et récemment, Bruxelles a annoncé son intention de viser une ville des 10 minutes.

It’s the divercity, stupid!

Soyons clairs : la ville du 1/4 d’heure n’est pas un modèle qui peut être généralisé. Les différents quartiers d’une même ville sont très diverses en termes de mobilité, de localisation, de statut socio-économique, d’aménagement du territoire… Il est donc nécessaire d’identifier les besoins, les souhaits et les spécificités d’un quartier à un niveau hyperlocal. L’offre en équipements doit être adaptée à ces besoins locaux. Par exemple, il est intéressant de savoir qu’il y a une école à 15 minutes, mais il est encore plus intéressant de savoir si cette école est pleine, s’il y a des listes d’attente… L’offre et la demande doivent être sur un pied d’égalité.

En outre, il ne s’agit pas seulement du nombre d’équipements, la qualité est également importante, par exemple en termes d’alimentation saine et durable. Remarque : tous les équipements ne doivent pas nécessairement être présents dans tous les quartiers. Une piscine dans chaque quartier de Bruxelles n’est pas un objectif. La ville du 1/4 d’heure est basée sur la complémentarité entre les quartiers.

« Le temps est un luxe aujourd’hui. Gagner du temps lors de ses déplacements est une nouvelle sorte de capital. Plus on s’élève dans l’échelle sociale, plus on a le contrôle sur son temps de trajet parce qu’on peut se permettre de vivre plus près de son travail ou avoir des horaires plus flexibles. »

Thyl Van Gyzegem

Participation ≠ inclusion

Il est important que la ville du 1/4 d’heure ne soit pas un modèle imposé dans lequel il est déjà déterminé comment les rues et l’espace public sont conçus. L’apport et la participation des citoyens sont importants pour que cela fonctionne. Et ces citoyens représentent un large éventail de personnes ayant des besoins différents: enfants, personnes âgées, personnes LGBTQ+, femmes, personnes souffrant de handicaps physiques ou mentaux… Les citoyens ne doivent pas être réduits à des usagers de la route, la ville du 1/4 d’heure est plus large que cela.

Offrir des possibilités de participation n’est pas la panacée. D’une part, il est important de penser de manière orientée vers le résultat aux apports obtenus, à la manière dont nous utilisons les idées des différents groupes. D’autre part, la participation est souvent le terrain de jeu d’une élite de la participation qui a déjà par défaut une voix plus forte. Cela donne plus de résonance au point de vue des groupes en position privilégiée. En d’autres termes, la participation ne signifie pas automatiquement l’inclusion et doit être orientée vers l’inclusion en mobilisant les groupes sous-représentés.

« Nous devons nous demander : pour qui concevons-nous des concepts tels que la ville du 1/4 d’heure ? Devons-nous d’abord nous débarrasser de l’inégalité ? Ou bien est-ce qu’on introduit un concept qu’on va ensuite peaufiner pour répondre à cette inégalité ? »

Soumaya Majdoub

La participation en rue pendant la crise Corona a également manqué d’inclusivité. Les terrasses qui ont remplacé les places de parking ont été peuplées par des citadins qui en avaient les moyens financiers. À Molenbeek, si dix jeunes s’asseyent sur une place de parking récupérée, on parle de « jeunes qui trainent en rue ». Il est donc essentiel que toutes les voix soient entendues. Et que les espaces de stationnement soient utilisés différemment : arceaux vélos, bancs, bacs à plantes… Les places de parking peuvent en fait être considérées comme le prolongement d’un jardin avant inexistant.

La ville du 1/4 d’heure selon Mpact

Our house, in the middle of our street

La ville du 1/4 d’heure commence toujours par la maison de quelqu’un, et c’est souvent là que le bât blesse pour en faire une histoire inclusive. Dans les grandes villes, le nombre de locataires augmente, il y a une discrimination sur le marché du logement et il y a une grande pénurie de logements sociaux, ce qui entraîne de longues listes d’attente. En outre, l’économie de services se développe et les emplois se situent de plus en plus à la périphérie. Il est donc plus difficile de vivre en ville. Le risque existe que la ville du 1/4 d’heure devienne l’apanage de quelques privilégiés qui peuvent restreindre leur périmètre domicile, travail, loisirs… D’autre part, la crise Corona a révélé qui avait les moyens financiers nécessaires que pour s’acheter une maison avec un jardin en dehors de la ville. Il y a eu un exode des citadins aisés alors que les habitants les plus faibles restaient emprisonnés.

En d’autres termes, une politique du logement forte, inclusive, diversifiée et qualitative est le piédestal sur lequel la ville du 1/4 d’heure doit être construite. Cela permettra d’éviter la poursuite ou l’aggravation des inégalités sociales et spatiales existantes. Si vous construisez dans les quartiers compacts et non dans les quartiers où il y a déjà beaucoup d’espaces verts, les inégalités spatiales se perpétuent.

Our street, in the middle of our town

Bien que nous l’utilisons tous les jours, la rue est en fait un élément invisible et inconscient du fonctionnement urbain. Il s’agit d’une infrastructure aussi invisible que les réseaux d’égouts ou d’électricité. Vous partez du principe qu’il est là et qu’il fonctionne. Cela crée de l’indifférence chez les usagers de la rue, on s’en soucie peu. Il s’agit en fait d’une zone résiduelle générique dans une ville, une zone résiduelle dominée par un seul type de transport : la voiture. En même temps, la rue donne une structure à nos vies et à notre fonctionnement social. Notre société commence en fait dans la rue.

Pendant la crise corona, le besoin de la rue s’est accru, bien qu’il ait été principalement abordé sous l’angle de la mobilité : pistes cyclables supplémentaires, espace de marche supplémentaire, rue sans voiture… La rue est l’instrument le plus direct pour promouvoir le droit à la ville. En dehors des grands chantiers liés au logement et à une nouvelle mobilité, la rue est un moyen pour rendre rapidement visibles et concevables les changements dans la ville. Avec quelques interventions ponctuelles, vous pouvez rendre tout un quartier sans voiture et améliorer la qualité de vie.

« Dans de nombreux quartiers, il y a déjà beaucoup d’équipements. Il s’agit d’éloigner le trafic de transit et de faire en sorte qu’il soit possible et concevable pour de nombreuses personnes d’aller au supermarché à pied ou à vélo (cargo). »

Gideon Boie

Le plat pays

La ville du 1/4 d’heure n’est pas une histoire exclusivement urbaine, dans les zones rurales aussi il est possible de combiner davantage les équipements et les habitants et de rendre la mobilité plus durable. Alors que dans les villes il faut choisir entre les modes de transport en raison du manque d’espace, dans les zones moins denses, il y a plus de place. Il y a donc de la place pour la voiture, mais aussi et autant pour les pistes cyclables. Une combinaison de modes de transport est également possible dans la périphérie urbaine. Il y a de la place pour la voiture, les transports publics et le vélo. C’est pourquoi, en périphérie de villes sans voiture comme Gand et Bordeaux, on retrouve tous les modes de transport. Ce qui se passe dans le centre d’une ville est en fait très local.

Les Points Mob, nœuds où se rencontrent différents modes de transport, constituent également un atout important dans les zones rurales. En outre, ils offrent la flexibilité nécessaire. Et avec les bonnes infrastructures, le vélo peut devenir un mode de transport important, par exemple pour aller travailler à Bruxelles depuis le Brabant wallon. Les communes elles-mêmes peuvent doter les lieux les plus importants d’un réseau cyclable sûr. Il ne s’agit pas forcément de toutes les rues mais de bonnes liaisons entre les équipements les plus importants (maison communale, école, parc…). De cette manière, la dynamique du quartier peut être prise en compte, en dehors des critères quantitatifs et technocratiques, lors de la construction de pistes cyclables.

Jusqu’à récemment, l’idée était qu’un quartier durable devait être organisé autour d’un nœud de mobilité accessible dans un rayon de 700 mètres. Mais dans une zone à faible densité, 700 mètres ne signifient rien. Le temps est une mesure plus intéressante, car vous pouvez couvrir une grande distance à vélo en 15 minutes.

« Prendre la durée du trajet comme critère est une piste intéressante car elle permet de s’éloigner d’une division stricte en quartiers. Vous pouvez ainsi examiner la complémentarité de l’offre entre les différents quartiers. »

Benoit Moritz

Dans un contexte rural, il s’agit moins d’empêcher le trafic de transit que de densifier les centres des villages. En outre, la ville et la campagne ne constituent pas un système binaire. Ce sont les habitants de la campagne qui se rendent souvent (ou doivent se rendre) en voiture en ville et qui créent les embouteillages. Le défi consiste donc à amener les gens des villages vers les villes de manière simple, sans recourir automatiquement à la voiture.

Belgique = une grande ville du 1/4 d’heure

De nombreux Belges vivent en fait déjà dans une ville du 1/4 d’heure, mais vous n’entendrez pas souvent quelqu’un dire « j’habite dans un quartier du 1/4 d’heure ». En outre, la voiture reste le moyen de transport privilégié pour se rendre partout. Comment expliquer ces deux choses ? La réponse réside en partie dans la façon dont nous gérons notre mobilité et notre espace public. Aujourd’hui, 70% de l’espace public urbain est occupé par la voiture, et les modes actifs doivent attendre dans les coulisses.

Afin de réduire le réflexe automobile des conducteurs quotidiens, il est nécessaire de créer de meilleures infrastructures pour les cyclistes et les piétons, ainsi que davantage d’espaces verts, d’espaces de détente… Parallèlement, le trafic et la possession automobile doivent diminuer. La mobilité partagée et multimodale rend cela possible et favorise une ville vivable et sans voiture. Aujourd’hui, on observe déjà une concentration d’équipements dans des lieux accessibles, bien qu’il n’y ait pas de stratégie planifiée derrière cela. Une politique plus orientée, menée par les citoyens et les mouvements citoyens, peut renforcer cette tendance. Un logement de qualité, une participation réelle et l’inclusion sont les ingrédients de base de la réussite de la ville du 1/4 d’heure, tout comme une politique foncière et immobilière qui permet de vivre et de travailler dans le quartier. Et poser alors simplement la question aux gens : ne voulez-vous pas essayer une voiture partagée ?

La ville du 1/4 d’heure existe. Nous devons juste donner le coup d’envoi, à pied et à vélo.

 

Sur les intervenants

Benoît Moritz est architecte et urbaniste et cofondateur du bureau MSA. Il est également enseignant et chercheur à la Faculté d’architecture de l’ULB où il est le coordinateur de LoUIsE (Laboratory on Landscape, Urbanism, Infrastructures and Ecologies).

Après des études en écologie sociale, Thyl Van Gyzegem est chargé de mission en mobilité chez Inter-Environnement Bruxelles depuis 2017. Il travaille plus particulièrement sur les questions de justice environnementale, de transport public et d’accessibilité urbaine.

Soumaya Majdoub est chercheuse et fondatrice de Women In Urbanism, un réseau qui place les femmes au cœur du développement urbain. Elle est titulaire d’un doctorat en démographie de la VUB dans le cadre du programme Villes et nouveaux arrivants.

Gideon Boie est architecte et philosophe à la faculté d’architecture de la KU Leuven. Il est également actif au sein de BAVO, un collectif de recherche axé sur la dimension politique de l’art, de l’architecture et de l’urbanisme.

Ecoutez le podcast !

Vous voulez écouter ces sessions Mpact sur la ville du 1/4 d’heure sous forme de podcast ? C’est possible! Vous pouvez l’écouter ici.

(Re)voyez les sessions Mpact

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